Sur la route de Compostelle - Charente / Pays Basque à pied (2021) - 1ère étape : Jarnac - Salles d'Angles (24 km)
Le grand jour approche... et le moment est là.
Saint-Jacques-de-Compostelle, c'est pour moi un vieux rêve. L'Espagne, le volontariat raconté déjà sur ce même blog onze ans plus tôt, et l'histoire aussi d'une grave blessure au pied gauche plus ancienne. Après des années d'autres projets, le moment était venu de se lancer, en rejoignant pour point de départ un lieu de coeur : la Charente, où nous avons vécu pendant sept mois, en 2020. L'objectif affiché pour cette année est Orthez, où doit nous attendre Armand, le parrain de Karima. La petite ville béarnaise est notre point d'arrivée prévisionnel, sur un parcours attendu de trois cents soixante-trois kilomètres à pied, qui s'avérera légèrement différent... Orthez, c'est aussi pour plus tard le point de départ vers Saint-Jean-Pied-de-Port, et alors, le choix entre plusieurs voies pour rejoindre ensuite in fine le Camino del Norte ou le Camino Francés en Espagne.
Nous sommes dans le train reliant Angoulême à Jarnac. 11 h 05 approche, en ce samedi 2 octobre. Je regarde les autres passagers qui sont sur la route de Royan. Nous avons vécu sept mois en Charente en 2020 et paradoxalement, nous ne nous sommes jamais rendus au bord de l'océan pendant cette période. Je pourrais être tenté de rester dans le train mais non, une autre aventure nous attend et nous retrouverons la mer plus tard, un peu à Blaye avec l'estuaire de la Gironde. Je reconnais les environs de Jarnac et je fais signe que le train approche de la gare. Il s'immobilise et en posant le pied sur le quai, ce qui est un geste complètement banal, j'ai de la peine à imaginer que nous partons pour ce que nous pensons être alors un périple de trois cents soixante-trois kilomètres à pied. Ce chiffre n'est pas raisonnable compte tenu du moyen de transport que nous avons choisi : les jambes !
Karima au grand départ de Jarnac
2 octobre 2021
Cela faisait longtemps que je n'avais pas ressenti un tel mélange émotionnel, entre l'excitation enfantine d'une aventure qui démarre et la crainte de ne pas savoir où assurer mes besoins primaires, surtout sur ces premières journées ! De plus, comment le corps va-t-il réagir à l'idée d'encaisser ces volumes kilométriques et ce poids qui est sur les épaules ? Pour rajouter un peu à l'inquiétude qui nous anime alors, la pluie menace en ce samedi plutôt frais et gris. Plutôt que de filer directement vers le sud, nous avions choisi de charger un petit peu cette étape en hectomètres et en nostalgie en retournant directement à Jarnac et en refaisant à l'envers le chemin "du confinement" d'un kilomètre. Sitôt le train parti, nous nous sommes mis en route et Karima avait repéré un primeur dès le premier hectomètre. Une première rencontre, et une première question arrive : "Jusqu'où allez-vous ?" "Nous allons jusqu'aux Pyrénées !" Nous venons de basculer dans l'irréel, dans l'irrationnel. Nous faisons un premier plein de fruits et de provisions sur cette avenue Carnot qui mène de Gondeville à Jarnac et Karima rencontre un ancien collègue de travail sur le chemin ! Nous sommes bien dans l'improbable. Mais déjà, à force d'arrêts plus ou moins volontaires, l'horloge tourne à son rythme, et, si nous avions un temps envisagé de séjourner un jour à Jarnac (pour le coeur ou pour le corps ?), nous savons trop bien que la route va être longue et qu'il nous faut avancer sur cette première étape. Pour mieux aborder Le Maine Gaillard et la rue des Fleurs de Bourg-Charente, que nous ne pouvions manquer pour des raisons affectives, nous choisissons le bitume et la côte de la Garenne. Après quelques kilomètres, nous laissons déjà Jarnac, François Mitterrand et notre vécu récent derrière nous. Nous reconnaissons Chassors, Julienne et rentrons dans Bourg-Charente, pour la première pause de ce voyage. Nous sommes à peine partis depuis six kilomètres qu'il nous faut laisser derrière nous ce paysage de paix, que nous avons connu et apprécié. Cette fois, nous nous lançons totalement dans l'aventure, "en terre inconnue".
J'inaugure le support de cou et le guidage GPS à la sortie de Bourg-Charente, alors qu'il nous faut prendre, toujours sous un ciel gris, la route de Gensac-la-Pallue. Karima a de bonnes jambes et se lance à la poursuite de cette étape avec rythme. Vers 15 heures, nous sentons tomber les premières gouttes et je dois ranger le guidage GPS car il est convenu que l'eau et l'électronique ne font pas bon ménage. Nous inaugurons alors les vestes censées être imperméables et prenons la route de Genté, en suivant les prévisions météo qui indiquent malheureusement que la pluie continue va arriver progressivement. Je tente de me rassurer à la seule accalmie qui arrive mais nous devons nous résoudre à l'évidence : nous passons progressivement dans cette journée de la nostalgie et l'illusion à la réalité qui nous rattrape. Nous laissons les derniers paysages connus en visu à l'est (Segonzac) pour rentrer au bout d'une première longue ligne droite à Genté, après avoir traversé un champ sur un chemin qui n'existait que sur la carte. Cette étape qui devrait se terminer nous lessive. Karima montre des premiers signes d'inquiétude et propose de demander un abri dès 16 heures, mais je reste optimiste de mon côté car j'avais repéré sur la carte "Les Champs Boinaud", une forêt où nous pourrions trouver un point pour planter notre tente. Nous poursuivons notre route sur un sentier de petite randonnée, mais nous devons abandonner notre idée de nous arrêter car il n'y a pas la place raisonnable de s'installer, le chemin étant un lieu de passage d'engins potentiels. Nous continuons jusqu'à l'église, toujours sous une pluie certes modérée et continue et tentons de passer des coups de fil à la paroisse, sans succès. Nous saurons par la suite qu'il n'y a personne de disponible sur place, pas de prêtre et Karima aura un rappel plusieurs jours plus tard pour en savoir plus...
Yohann détrempé à l'arrivée à Salles d'Angles, une fin d'étape certes mais il faut encore trouver où dormir...
2 octobre 2021
Aux alentours de 17 h 30, nous nous arrêtons sur le préau de la salle des fêtes. Il n'y a personne au village. Mouillés et fatigués par ce premier parcours éprouvant, nous hésitons et réfléchissons à la suite à donner. Les besoins primaires reviennent au galop : s'il nous reste encore de l'eau, nous n'avons ni à manger ni de quoi nous laver et il fait frais. Nous n'imaginons pas faire de mauvaise rencontre là mais nous savons que ce préau est loin d'être idéal. Le parc de la mairie est ouvert (nous sommes passés devant), les toilettes y sont accessibles mais il n'y a que deux jeunes adolescents qui jouent là-bas. En ce samedi après-midi de profonde campagne charentaise, il n'y a évidemment pas foule. Et à la moindre rencontre, nous ne serions évidemment pas les bienvenus. Finalement, nous reprenons nos sacs et décidons de continuer. Le seul point positif est que nous allons avancer vers Pons et passer cette butte finale. La pluie est toujours là, certes faible, mais nous empêche d'imaginer tout espoir de planter la tente dans de bonnes conditions. Nous descendons vers Salles d'Angles et trop loin désormais de la forêt du "Champs Boinaud", je suis l'hypothèse de Karima qui espère elle, de son côté, trouver une famille qui nous accueillera. De mon côté, je scrute les terrains qui peuvent toujours accueillir notre tente, protégée du vent. Nous arrivons dans le village, un peu désespérés, en observant un parc trop petit pour être discret, un préau de mairie également trop petit pour être discret, une maison abandonnée trop sombre pour être rassurés. La nuit commence à poindre, le ciel ne se calme pas : à l'issue de cette première journée, une seule question majeure nous taraude : où allons-nous passer la nuit ? Je vois alors un panneau indiquant "chambre d'hôtes" sur un carrefour près de la sortie du village et, sans autre inspiration, nous nous lançons sur cette route. Je pressens qu'elle ne va pas dans la mauvaise direction. Nous sonnons à quelques portes : il n'y a personne. Sur cette route droite, nous voyons des voitures filer et nous sommes dans l'errance. Je vois un bosquet sur le côté et j'imagine un abri potentiel. Nous le rejoignons et après quelques centaines de mètres, nous devons nous rendre à l'évidence : il n'y en a pas. Nous sommes près de 19 heures et c'est certain : il nous faut trouver une solution dans les minutes qui viennent.
Nous apercevons alors un lieu-dit (L'Ebaupin), la pluie se calme mais le vent lui est encore suffisamment puissant. Je m'arrête à une première maison, dont il y a manifestement de la place sur le terrain pour bivouaquer. La porte s'ouvre et le refus est immédiat. Nous n'insistons pas. Karima voit en dessous une ferme et nous nous concertons : nous allons tenter notre chance en même temps ! Nous tombons sur plusieurs personnes, puis sur François. Nous sommes chez Méry & Fils. Après plusieurs échanges, nous avons compris que nous allons être accueillis là ! Ouf, cette journée se termine de manière improbable mais nous avons un toit où dormir. Le parallèle avec les camps se fait rapidement chez moi. Nous installons notre campement de fortune dans une pièce assez vaste (s'agit-il du réfectoire des vendangeurs ?) et nous échangeons avec François, autour d'un bon verre de cognac sucré, qui est sans doute partagé entre deux sentiments : il est à la fois gêné de nous accueillir mais nous sentons aussi qu'humainement il ne se voyait pas refuser. Sa maman, Solange, nous apporte après quelques minutes du pain, une soupe chaude et de la compote de pommes faite maison. Nous dévorons ce repas improvisé instantanément. Il ne manque que la douche (et les toilettes...!) mais nous savons qu'il va falloir en faire l'économie. Plusieurs vignerons proche de la retraite viennent nous saluer, dont un belge, de Binches, a largement dépassé la soixantaine. Il nous témoigne de sa vie, sur ces dix-sept années passées un temps sur le sol charentais à "faire" les vendanges, sur son ancien emploi de grutier en Belgique, et sur les aides accordées aux chômeurs là-bas. Nous luttons face à la fatigue mais tenons encore debout pour apprécier cette rencontre touchante. Une fois allongés sur ce sol dur, nous maudissons nos tapis de sol encombrants et trop fins et nous nous endormons, une fois que François nous plonge dans le noir, heureux du dénouement. Nous découvrons alors que l'interrupteur commande toute l'électricité de la pièce et cela complique la tâche pour recharger les téléphones, mais c'est cela l'aventure !
Karima devant le repas de Solange pour le soir : une soupe chaude et une compote de pommes !
2 octobre 2021
Le profil de l'étape : Avec 24 km et un dénivelé positif de 119 m, l'étape est relativement vallonnée mais s'étend déjà sur une certaine longueur. Elle ne fait pas partie du chemin de Compostelle. En préparant le tracé jusqu'à Pons, pour rejoindre la voie de Tours et le GR 655, je savais qu'il fallait deux jours pour rejoindre raisonnablement Pons. Je comptais sur notre fraîcheur pour parcourir davantage de kilomètres en cette première journée et en atteignant le lieu-dit L'Ebaupin à Salles d'Angles, nous sommes allés plus loin que prévu. Malgré cela, je savais que le relief risquait de laisser des traces, avec la Côte de la Garenne à la sortie de Jarnac, la sortie de la vallée de la Charente après Bourg-Charente et un passage éventuel à Salles-d'Angles, après Genté, si nous ne trouvions pas d'endroit favorable pour planter la tente.
Par ici la suite ! 2ème étape : Salles d'Angles - Pons (21 km)


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